25 mars 2006
Des paradis perdus
( boulevard de la Saline, Equeurdreville, Manche )
J'ai été une petite Poucette, volontairement perdue et heureuse de l'être, qui effaçait soigneusement de sa mémoire la trace des chemins empruntés. Ma cartographie personnelle était remplie de lieux flottant dans l'espace comme des îles, sans repère ni route pour y parvenir. Fixée sur mes paysages intérieurs, je ne voulais rien voir du trajet entre le départ et l'arrivée. Et plus l'endroit me plaisait, moins je savais par quel chemin y aller. Je protégeais mes terres d'accueil en les isolant dans l'espace. Elles devenaient inabordables quand je n'y étais pas.
En passant conductrice les chemins sont réapparus d'eux-mêmes, et comme la mer en se retirant fait apparaître les méandres du sable, les routes absentes de ma cartographie sont apparues à la surface. Je découvrais que ma mémoire avait tout enregistré et qu'une boussole interne me situait toujours infailliblement dans l'espace. Je n'étais jamais perdue et je ne l'avais jamais été. Je me suis bien obstinée, les premiers temps, à ne penser à rien pour tenter de préserver mes paradis. Je négligeais les indications et les incitations à changer de direction pour filer tout droit. Mais à force d'attérir dans les cours de ferme, au bord des falaises ou au fin fond des champs j'ai fini par accepter de savoir où j'allais et de suivre la route.
Parfois, aux hasards des promenades ou des points de rendez-vous je croise des lieux agréables que je parviens à transformer en îles oubliées. Je les garde en mémoire en prenant garder de ne plus y aborder. J'attends qu'un jour on m'y conduise pour que je puisse y retrouver, intacte, cette sensation de lieux issus, et pour toujours, de nulle part.
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